Biographie



Vie spirituelle

Le bouleversement intérieur

Dans la partie autobiographique de son œuvre (Chapitre V du Livre des Rois de Vérité), Hadj Nemat raconte une expérience intérieure qui le transforma profondément et lui fit donner une nouvelle direction à sa vie. Vers l'âge de 29 ans, alors qu'il était malade et semblait donné pour mort, il eut une vision de l'autre monde au cours de laquelle il prit conscience de sa dimension spirituelle et de sa vocation mystique. Revenu à lui, il se sentit submergé par l'amour divin et décida de tourner le dos à son existence antérieure et aux ambitions matérielles pour se consacrer entièrement à l'ascèse et à la méditation.

Retiré dans sa maison de Jeyhounâbâd, il mènera désormais une existence exclusivement tournée vers le spirituel : que ce soit à travers des retraites, des jeûnes, des prières intimes ou collectives, son enseignement spirituel ou ses œuvres de charité, ou encore à travers ses écrits. A partir de cette expérience intérieure radicale, regrettant ce qu'il appelle « le sommeil de l'oubli » et la « négligence » dans lesquels il avait le sentiment d'avoir vécu jusque là, il décida que toute son existence serait consacrée à Dieu. Ayant d'ailleurs conscience de la gravité et de la difficulté d'un tel choix et ne voulant pas l'imposer à son épouse, il lui proposa de reprendre, si elle le souhaitait, sa liberté. Mais elle refusa de se séparer de lui et malgré l'attachement qu'elle pouvait avoir pour le mode de vie aisé auquel elle était habituée depuis l'enfance, elle s'engagea dans cette voie aux côtés de son époux.

En 1902, Hadj Nemat se rend pieds nus et en état de jeûne au tombeau de Soltân Eshâq, le fondateur charismatique de l'ordre des Ahl-e Haqq. Ce tombeau se trouve dans une zone montagneuse (actuellement en terre irakienne) très difficile d'accès, au climat rude. Les chemins qui y menaient étaient alors très dangereux car il s'agissait d'une zone de non loi, non sécurisée et donc livrée aux bandits de grand chemin. Par ailleurs, Soltân Eshâq étant vénéré comme une manifestation théophanique de Dieu, ce pèlerinage était considéré par la tradition Ahl-e Haqq comme équivalent au pèlerinage à la Mecque. C'est pourquoi celui qui l'avait effectué devenait « Hâji » (littéralement « celui qui a fait le pèlerinage de la Mecque »). C'est donc à partir de cette date que Hadj Nemat reçut ce titre par lequel il fut désormais désigné.

C'est aussi vers cette période qu'il décida de se revêtir de l'habit blanc des derviches et de ne plus se couper ni les cheveux, ni la barbe, ce qui était une coutume répandue parmi ceux qui décidaient de se retirer du monde pour se consacrer entièrement à leur vie spirituelle.


Une personnalité charismatique

Très tôt se constitue autour de lui un cercle d'intimes qui deviennent ses disciples ou selon l'expression consacrée au Kurdistan, ses « derviches ». Au début, outre son épouse, douze derviches suivent son mode de vie ascétique et son enseignement. Puis petit à petit, la renommée de celui qui sera connu comme le « saint de Jeyhounâbâd », grandit au-delà de son village, et au-delà du Kurdistan vers d'autres régions de l'Iran. Nombre de personnes se rendaient à Jeyhounâbâd pour le voir car il est de coutume en terre d'Islam, de rechercher la présence des saints en raison des dons de guérison de l'âme et du corps qu'on leur attribue. Or, Hadj Nemat avait acquis cette réputation, ce qui lui vaudra le surnom de « Cheikh 'Attâr » (ce qui signifie le sage apothicaire ou guérisseur).

En quelques années, le nombre de ses « derviches », c'est-à-dire de ceux qui se considéraient comme ses disciples atteignit 2000 personnes dont plus de 500 étaient des femmes. Ce point mérite d'être souligné car la majorité des voies mystiques (toutes religions confondues) étaient plutôt destinées aux hommes et peu de femmes pouvaient officiellement faire partie des « confréries » mystiques (comme en témoigne l'étymologie même du mot « confrérie »). Ces derviches bâtirent un « khâneqâh », c'est-à-dire une grande pièce qui servait pour les réunions de prière mais qui pouvait aussi à l'occasion servir de lieu de vie ou de dortoir pour les pèlerins de passage. Ainsi se constitua un groupe autour de Hadj Nemat dont les aspirations spirituelles se réalisaient dans la prière et les ascèses et dont le ciment était la foi dans la personne charismatique de leur guide.

Les témoignages qui restent de cette époque et en particulier celui de son fils Nour Ali Elahi, attestent que ce qui frappait le plus dans la personnalité de Hadj Nemat était la puissance de sa foi. Ainsi :

Tout chez mon père était extraordinaire et certains traits de son génie étaient visibles même dans les apparences. Sans avoir jamais eu de maître, il avait une puissance spirituelle incroyable. Il était rompu à la discipline de l'ascèse et d'une grande rectitude morale. Mais surtout, c'était sa foi et quelle foi ! Dieu lui accordait tout ce qu'il Lui demandait. Quelle volonté il avait ! Quelle confiance dans sa relation avec Dieu !

Un autre trait saillant de sa personnalité était la pratique assidue de la charité dont il fera l'un des piliers de son enseignement. A une époque où les famines sévissaient encore en Iran de manière endémique, il distribuait régulièrement de la nourriture aux pauvres et ne ménageait jamais son temps pour se mettre à la disposition de ceux qui avaient besoin de lui, spirituellement ou matériellement. Globalement, l'amour divin qui l'habitait et dont on retrouve les manifestations et l'expression dans toute son œuvre, le portait vers un mode de vie entièrement tourné vers la réalisation de son destin spirituel.

Ainsi, il en allait de même de ses nombreux dons artistiques qu'il utilisait toujours dans un but spirituel : il était avant tout poète mais avait également un don pour le dessin et
la musique
.

Hadj Nemat est décédé le 29 février 1920, à midi, à l'âge de 49 ans. En 1919, il avait rédigé son testament dans lequel il avait prédit certains évènements dont le jour et l'heure de son décès. Son corps fut enterré à Jeyhounâbâd, près de la tombe de Yâr Ali, son dernier enfant. Aujourd'hui, un mausolée érigé à cet endroit est devenu un lieu de pèlerinage.